Pourquoi ce travail ?  
"Cinq boîtes"
Tout est fugacité
Janvier 2005
Coffret en chêne, zincs roulés, figurines de graveur en bronze, chapiteau corinthien, ivoire, fleurs et branches séchées, étain, résidus métalliques

J'ai toujours aimé l'architecture.

Comme tout étudiant dans cette discipline, j'ai appris le dessin, ce matériau nécessaire por s'exprimer avec grande liberté.

Ce furent des plâtres académiques à la construction qui doit être parfaite, les aplombs, les modelés, les ombres du modèle vivant aussi.

Comme beaucoup de mes camarades, j'ai taquiné l'aquarelle, ce médium qui ne permet pas l'erreur, nécessite d'aller à l'essentiel, à l'impression première.

Et puis le métier d'architecture m'a pris tout entier.

De très modestes projets d'abord, puis des commandes publiques, de plus en plus importantes, au milieu d'une grande équipe. Un jour est venu où mon rôle était plus celui qui oriente l'étude sur tel ou tel chemin, que celui qui compose un projet jusque dans ses moindres détails.

J'ai alors senti la nécessité de faire oeuvre dans un autre domaine, libre de créer hors de toute contrainte.

J'ai toujours aimé l'écrit et côtoyé très jeune l'oeuvre de certains poètes.

Et si "l'espace indicible" cher à Le Corbusier m'était familier à la rencontre de certaines oeuvres architecturales, approchées dès mon enfance, la poésie m'apportait aussi une émotion singulière.

Très proche de la nature et passant des vacances sur la côte atlantique, j'étais séduit par la richesse tant esthétique que poétique, portée par toutes fortunes de mer, bois flottés, filets, vieux bois de bateaux fortement colorés.

C'est alors que j'ai commencé à réaliser de grands assemblages de bois de mer, cherchant une dynamique, des rythmes.

Mais les mots me manquaient...

Ainsi, j'ai réalisé mes premiers coffrets, il y a plus de vingt ans.

Je dispose dans des contenants de tailles et de destinations diverses (boîtes à compas, boîtes à médaille, boîtes d'instrument de musique, coffrets de métronome, modeste écrins de bois blanc ou coffrets de bois nobles aux belles articulations de laiton) un assemblage fait de touts et de riens recuillis là où mes pas me mènent et d'un texte dont je suis l'auteur.

Ainsi se côtoient :
des plumes d'oiseaux de mer recueillies dans mon île;
des pinceaux souillés et secs dans un quelconque arrière-port ou au bord d'un lac romantique d'Ecosse;
des caractères d'imprimerie en poirier ou en bronze;
des écorces de graines ramassées à Séville;
des lames de volets à Barcelone;
des queues de poire chez l'épicier;
des rubans dans le grenier d'une ancienne modiste;
des papiers de toutes sortes (couleur, matière, toucher...);
des métaux oxydés;
des bouchons de carafe;
l'ivoire et l'ébène des touches de piano;
des cartouches de mon stylo... et bien d'autres encore.

"Cinq boîtes"
Orgues
Mai 2011
Coffret en cuir, 32 fioles à parfum, tuyau d'orgue, cuivres oxydés, éléments en noyer d'un métier à dentelle

Ainsi se cotoient mes mots assemblés, cueillis dans le quotidien et amassés dans un petit carnet qui ne me quitte guère.

Ils sont mis en forme après l'achèvement de l'assemblage et parfois certains coffrets restent muets. N'ont-ils pas eu la force, ces mots, de venir éclore à la surface de moi-même ? Est-ce par discrétion, respect de l'intime, émotion trop forte ?

Le coffret fermé est souvent d'une stricte discrétion — un peu comme une reliure janséniste — la beauté du bois ou du cuir suffit, quelquefois un petit

quelque chose pour éveiller l'intérêt et la curiosité.

Et puis il faut ouvrir.

C'est à ce moment que j'espère susciter l'émotion, créer la surprise par la subtilité des matières, leurs contrastes, leurs teintes, leur s odeurs parfois, leur "vécu", leur nouvelle vie.

Et il me plaît d'être un peu magicien en donnant à ces riens un côté "Trésor".

Et les mots qui s'entrechoquent créent des harmonies ou des dissonances.

Ils sont écrits à l'encre de couleur argentée, nécessitant quelquefois de déplacer, le support pour éviter les reflets (ainsi je cultive l'insolite, le précieux, le secret).

Les thèmes abordés sont très divers : l'océan, le rêve, la mémoire, la complexité des êtres, le mystère des choses, la nature, tout ce qui me tient à coeur.

L'ensemble constituant un peu comme un reliquaire mêlant préciosité, secret, message, poésie.

Bien sûr, le temps aidant, j'ai sur mes étagères une quantité de boîtes vides et ayant fait telle ou telle découverte d'objets inolites, c'est un jeu pour moi de choisir quelle boîte servira d'écrin au prochain travail.

Ainsi des boîtes restent vides des années, d'autres se remplissent très vite.

Accueillir le dérisoire
Etre attiré secrètement par l'inattendu
Inventer des rapports au-delà de l'immédiat
Cristalliser la poésie du quotidien
Enchanter sa grisaille des jours à la périphérie du rêve...

telles sont les clés de mon travail.

   
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